Avoir la bosse des maths

Avoir la bosse des maths

 

 

Ça y est, déjà la première étape de complétée. La fébrilité de la rencontre de nos nouveaux élèves est passée, et on commence déjà à avoir une bonne idée – voire même une très bonne idée – des forces, des faiblesses et de la personnalité de la centaine d’adolescents différents qui se dressent devant nous chaque semaine.

 

Évidemment, ils n’ont pas fini de changer et de nous surprendre tout au long de l’année selon les expériences et les évènements qu’ils vivront et qui façonneront d’une manière ou d’une autre les individus qu’ils deviendront. Les premiers amours, les premières peines, le décès d’un proche, la séparation des parents… sont des exemples d’évènements positifs ou négatifs qui laisseront en eux une trace indélébile ; on serait naïf de croire que ça n’affectera pas leur concentration ou bien leur rendement scolaire. 

 

Par contre, si je me fie à mon expérience, le reste de l’année va passer si vite, trop vite même, et, en juin, on réalisera à nouveau que le temps file à une vitesse incroyable. On regardera l’amoncellement de travaux et d’examens corrigés empilés sur une filière ou entassés pêle-mêle dans une étagère et on se demandera comment nous avons survécu à une telle besogne.

 

Mais avant d’arriver à la fin de l’année, nous devons d’abord passer par la deuxième et la troisième étape, mais surtout penser à la rencontre de parents qui arrive dans moins d’une semaine. Non seulement faut-il bien s’y préparer afin de répondre adéquatement  aux questionnements des parents, mais on doit soutenir les nouveaux enseignants qui font de l’urticaire en pensant à la venue de ces monstres assoiffés de vocation et qui se nourrissent de fibres enseignantes. Car tout le monde le sait : « Enseigner, c’est une vocation… Il faut avoir la passion… C’est un don de soi… mais, t’as 2 mois de vacances !». Autant de clichés et de préjugés qui sont véhiculés par des gens qui ne connaissent que très peu de choses du monde de l’enseignement. Et honnêtement, je vous souhaite vraiment d’avoir plein de gens dans votre milieu de travail qui sont passionnés, qui se donnent et qui aiment ce qu’ils font. Mais bon, je me suis encore égaré. Maudits clichés, ça me fait perdre toute retenue. Revenons à la rencontre de parents qui s’en vient et aux jeunes enseignants qui craignent de se faire dévorer. Rassurez-vous, malgré ce qu’on peut croire, la très grande majorité du temps, ces rencontres se passent très bien et sont positives et enrichissantes. 

 

Toujours est-il que lors de la rencontre de parents, après quelques rencontres agréables et constructives, je vois la mère de Frédérique s’assoir sur les bancs au centre du gymnase afin d’attendre notre rencontre. Pour les gens qui n’ont aucune idée de qui peut bien être Frédérique, vous lirez mes blogues précédents et vous aurez une bonne idée du personnage. En continuant mon intervention avec le parent présent devant moi, je jette un regard discret et furtif à ma liste de rencontres prévues, mais évidemment, je n’y vois pas le nom de Frédérique.

 

Redoutant un peu cette rencontre, deux options s’offrent à moi :

 

1) Je lui dis qu’elle devra prendre un rendez-vous téléphonique, car ce soir ma liste de rendez-vous est complète ou

 

2) Je fais comme si de rien n’était et je la reçois et on discute de la situation de Frédérique.

 

Je décide donc de la recevoir. Après tout, ça ne peut que clarifier la situation avec Frédérique. Je fais donc mon innocent. Il paraît que je suis bon là-dedans.

 

« Bonjour, vous êtes la maman de… »

« Bonjour, je suis la maman de Frédérique en secondaire 4. »

« Frédérique ??? Ah oui, Frédérique. » Ouin, je sais, j’exagère peut-être un peu, mais tant qu’à faire l’innocent, aussi bien le faire comme il faut.

 

«Ah, je suis content de vous voir, car si je ne me trompe pas, vous n’étiez pas sur ma liste. » Et… en nomination pour l’Oscar du meilleur acteur dans le rôle d’un innocent…le prix est remis à… 

 

« Non, je sais, je m’excuse, mais Frédérique a de la difficulté en maths et je me suis dit que ça serait peut-être bien que je vienne vous voir. » Lorsqu’elle termine sa phrase, je me dis à moi-même : « C’est dommage que votre fille n’ait pas le même raisonnement avec mes périodes de récupération. »

 

« Il n’y a aucun problème, je suis vraiment content que vous soyez là. »

 

« Vous savez, Frédérique a de la difficulté en maths, mais ce n’est pas de sa faute. » Houlala que là, ça part mal ! Je vais quand même la laisser poursuivre. « Moi, quand j’étais à l’école, je n’ai jamais été bonne en maths, j’ai toujours eu de la misère. »

 

Non, mais là ça voudrait dire que Frédérique ne peut pas avoir ses propres forces et ses propres faiblesses avec ses propres champs d’intérêts. Je peux très bien concevoir qu’elle a de la difficulté en maths, mais pas à cause de sa mère…

 

Mais ce n’est pas tout, la mère décide d’en ajouter un peu. « Ouin, vous savez, dans la famille, personne a ben ben la bosse des maths, donc c’est naturel que Frédérique ait de la misère en maths. » Ben là, c’est certain, elle veut m’achever : « c’est NATUREL » et « la BOSSE DES MATHS » dans la même phrase.

 

« Si vous me permettez, madame, je vais rectifier un petit quelque chose dans ce que vous venez de me dire. Je peux très bien concevoir que votre fille ait de la difficulté en maths, mais malheureusement – ou heureusement, ça dépend du point de vue ! –  ça n’a rien à voir avec vous. Avoir la BOSSE DES MATHS c’est un mythe, ça n’existe pas et ce n’est donc pas génétique, et encore moins héréditaire. Ce que je peux vous dire, cependant, c’est qu’il y a des élèves dans la classe qui ont beaucoup plus de difficultés que Frédérique et qu’ils ont de meilleurs résultats, car ils travaillent beaucoup plus et beaucoup plus sérieusement. » Hi que la maman ne s’attendait pas à ça. Par contre, je suis convaincu que c’est également notre rôle d’éducateur de donner l’heure juste aux parents. Évidemment, la rencontre ne s’est pas arrêtée là-dessus. J’ai offert à la mère de l’aide, des moyens, des méthodes et des solutions afin d’aider sa fille et j’ai conclu la rencontre avec une de mes phrases préférées : « Vous savez, madame, il me fera réellement plaisir d’aider votre fille, mais je ne peux pas vouloir plus qu’elle. Elle doit m’aider à l’aider. »

 

Évidemment, la mère était déçue, mais comme la très grande majorité des parents, elle a appuyé l’enseignant de sa fille, car elle a bien senti qu’il était là pour l’aider et elle lui a fait confiance. Mais si j’avais un conseil bien personnel à donner à la mère de Frédérique, ça serait le suivant :

 

Vous avez le droit – et je dirais même le devoir – de ne pas toujours être d’accord avec les enseignants de vos enfants. Par contre, n’ayez pas de propos négatifs envers l’école, un enseignant ou même une matière scolaire devant vos enfants, car malgré ce que vous pouvez en penser, vous êtes encore un modèle important et une référence pour eux et vos paroles seront, pour eux, une justification de leurs désintérêts, leurs désengagements ou de leurs difficultés.

 

 

Dominic Paul

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